Le seigneur des anneaux – la fraternité de l’anneau

Une nouvelle traduction ! Une nouvelle vision ? Une nouvelle lecture.

J’ai découvert le Seigneur des Anneaux si ma mémoire est bonne en 1976. Je me souviens parfaitement de cette découverte. J’ai emprunté le premier volume à la bibliothèque du lycée à Romorantin, j’étais alors en seconde, et interne. C’est dire que j’avais le temps de lire le soir en étude, après les devoirs bien sûr ! Entre la bibliothèque du lycée et celle de la ville, il m’arrivait de lire 4 à 6 livres par semaine, essentiellement de la Science Fiction. Quand j’empruntais un livre à la bibliothèque de Romorantin, la bibliothécaire notait mon nom sur la fiche insérée dans le livre et celui-ci à du se retrouver dans tous les romans SF de la bibliothèque… Hé oui, pas d’informatique à cette époque…

J’ai un souvenir très clair de ma découverte du roman de Tolkien. J’ai donc emprunté le premier volet, il ressemblait à ça, un gros pavé, sans illustrations.

Je l’ai donc emprunté avec un peu de circonspection, n’ayant, je l’avoue jamais entendu parler de ce livre. D’autant que la première édition en France datait de 1972. Et j’ai dévoré le livre, en deux ou trois soirées. Littéralement dévoré. Après lecture, je suis retourné à la bibliothèque du lycée pour emprunter les deux autres volumes, et j’ai relu le 1 et dévoré le 2 et le 3 en une semaine, à la suite. Et je suis tombé quasiment amoureux de cette histoire, de ce récit épique, de ces personnages, j’ai eu des frissons en lisant et relisant 100 fois depuis, la charge du Rohan devant Minas Tirith, et les images de Peter Jackson n’ont rien arrangé à mes frissons. J’ai lu et relu depuis 1976 au moins une fois par an les 3 livres, parfois seulement le dernier, parfois seulement quelques passages, mais j’ai toujours éprouvé ce sentiment de force et de plaisir intense. En fait, je l’avoue, je l’ai moins relu, sans doute une fois ou deux, depuis la trilogie de Peter Jackson. peut-être parce que la vision des films a un peu apaisé mes envies. J’avais rêvé de voir le roman de Tolkien au cinéma, et Peter Jackson l’a fait, et l’a très bien fait, sans vraiment de réserves pour moi (en tout cas, les versions longues ont emporté mon adhésion).

Alors, que me fallait-il pour replonger ? Peut-être cette nouvelle traduction. Parce que la première traduction, celle de Francis Ledoux n’était pas sans défauts, avec quelques lourdeurs, et quelques incohérences. Et souvent visibles entre le Seigneur des Anneaux et Bilbo, Frodo/Frodon – Bilbo/Bilbon, Baggins/Saquet (le nom traduit dans l’un et pas dans l’autre). Et puis, même si ça n’a jamais été un frein pour moi, le début de l’histoire, les 100 premières pages qui, je le sais, ont rebuté quelques lecteurs à qui j’avais pourtant conseillé avec force de lire ce chef-d’œuvre… J’en ai connu quelques uns qui n’ont pas pu aller au delà… Mais, là, est-ce que la traduction était en cause ?

Maintenant, après avoir lu celle de Daniel Lauzon, pour le premier volume, la communauté de l’anneau, (re)devenu la fraternité de l’anneau, j’ai l’impression que oui, la traduction sans doute trop académique de Ledoux, était en cause. Même si c’est cette traduction qui a fait du Seigneur des Anneaux Le livre de chevet !

Je ne vais pas entrer dans les détails de cette nouvelle traduction. Déjà pour dire que j’ai lu le livre en une semaine, et que j’ai replongé comme au premier jour. Mais j’ai aussi ressenti une fluidité inédite, comme une re-découverte, comme une langue sans archaïsmes, moderne, sans lourdeurs.

Mon avantage, peut-être, c’est justement de ne pas avoir relu le livre depuis quelques années. Et sans doute d’avoir oublié quelques noms. Alors oui, bien sur il y a des surprises. Bilbo et Frodo sont bel et bien nommés correctement, pas un coup Bilbon ou Frodon pour redevenir Bilbo/Frodo après coup.

C’est vrai qu’il y a des grosses surprises, avec, mais non pas de spoilers, le surnom d’Aragorn (qui peut faire débat), avec la traduction de Baggins (non, ce n’est plus Saquet) et avec quelques autres symboles forts, comme un changement de nom pour Fondcombe. Mais là, je vous laisse le soin de découvrir et de vous faire une opinion personnelle. Et puis, pour d’autres noms, il faudra attendre la traduction (en cours déjà) des deux autres livres (par exemple le nom du cheval de Gandalf, Shadowfax devenu Grispoil en français !!!!).

Quand même, le titre, communauté devenu fraternité ! Déjà, il faut savoir qu’en des première traduction, en tout cas sur la couverture, était bien la fraternité de l’anneau (et bizarrement la communauté de l’anneau à l’intérieur de la couverture). Et puis The Fellowship of the Ring, le mot anglais Fellowship évoque plus la fraternité que la communauté. Pour moi, pas de contresens.

Autre traduction emblématique :

Trois Anneaux pour les rois des Elfes sous le ciel,
Sept aux seigneurs Nains dans leurs salles de pierre,
Neuf aux Hommes mortels voués à trépasser,
Un pour le Seigneur Sombre au trône de ténèbres,
Au pays de Mordor où s’étendent les Ombres.
Un anneau pour les dominer tous, Un Anneau pour les trouver,
Un Anneau pour les amener tous et dans les ténèbres les lier
Au pays de Mordor où s’étendent les Ombres.

Je vous laisse le soin de faire la comparaison (petite anecdote, dans l’édition dont je vous parle, il y a une coquille et donc une différence entre la traduction ci-dessus – en page de garde, et la traduction quand Gandalf expose sa découverte à Frodo. Une correction va s’imposer lors d’une prochaine édition).

Dans cette traduction, il y a un mot qui pour moi fait vraiment sens : dominer… La traduction de Ledoux, le mot était gouverner… Et ça fait une très nette différence, à mon avis. Sauron ne gouverne pas, il domine… À vous de me dire ce que vous en pensez. C’est presque un sujet du bac de philo, non ?

Gouverner : administrer, diriger un état…
Dominer : avoir la suprématie, asservir, assujettir…

Sauron ne gouverne pas, il assujetti, il écrase…

Alors oui, cette nouvelle traduction est, pour moi clairement une nouvelle lecture du chef-d’œuvre de Tolkien, une re-découverte, un « dépoussiérage » (guillemets de rigueur)… J’ai hâte d’en découvrir la suite, et puis peut-être me replonger dans la traduction de Bilbo qu’a aussi fait Daniel Lauzon…

De toute manière, une traduction est le reflet d’une époque, de la culture d’un traducteur. Francis Ledoux, le premier traducteur de Tolkien était plus habitué aux classiques de la littérature qu’aux écrits de Tolkien et au genre fantastique. Et puis les langues bougent et une traduction de référence à un moment peut devenir obsolète à un autre moment. Le travail de Lauzon va redonner une nouvelle voix au chef-d’œuvre de Tolkien.

6 commentaires sur “Le seigneur des anneaux – la fraternité de l’anneau

  1. Je prends toujours beaucoup de plaisir à lire ces débats concernant les traductions ; très amusant, notamment quand les débatteurs sont des lecteurs « à priori » moyens au sens où ils ne fréquentent pas régulièrement des auteurs ambitieux type Flaubert, Balzac, Châteaubriand…
    (Je précise que ce n’est pas une critique, on ne peut pas tout faire dans une vie, et lire, écrire, peaufiner son français est un travail long et fastidieux – je ne suis moi-même qu’un pauvre amateur de belles lettres, bien loin du niveau d’un agrégé de lettres classiques…)

    Quelques rectifications pour apporter ma pierre à la réflexion :

    1/ Dominer n’est ni « assujettir » ni « asservir ».
    La domination n’emporte ni victoire, ni assujettissement.

    2/ Gouverner, c’est certes « administrer », mais c’est surtout « avoir l’empire sur », « être maître de » (d’où le fait que l’on administre).
    Dans la situation sémantique de ce passage, c’est un quasi-synonyme de « dominer ».

    Personnellement, je préfère « gouverner » pour deux raisons :
    * une question de sonorité : les phonèmes [g] et [εʀ] sonnent plus durs, plus guerriers, plus suprêmes que [d] et [i] ;
    * un registre de langue plus soutenu (à mon avis, c’est justement pour cette raison, que Ledoux avait choisi « gouverner » et que Lauzon lui a préféré « dominer).

    D’après ce qu’on peut lire, Lauzon bénificie d’une parfaite connaissance de l’univers de Tolkien ; son travail de traduction sera donc à coup sûr plus fouillé, plus mûr. A privilégier, sans doute.

    Après, si l’on rêve de grandes fresques littéraires où se déploient le merveilleux (Tolkien n’est pas poète, hélas), il faut absolument lire l’Iliade, l’Odyssée, l’Enéïde, la Chanson de Roland, le meilleur de la Légende arthurienne (les romans courtois de Chrétien de Troye, le Lancelot-Graal), Roland Furieux, la Jérusalem délivrée, les Tragiques, le Paradis perdu (trad. Chateaubriand), La Légende des siècles…

    En attendant le chef-d’oeuvre de la fantasie, qui viendra sans doute un jour.

    1. Aie, ça commence mal. Il faut dire que les auteurs « ambitieux » me font profondément suer ! Flaubert particulièrement m’a fait ressentir un profond ennui ! Je ne suis qu’un lecteur moyen, je n’aime pas la littérature imposée comme devant être absolument lue pour être un vrai lecteur ! En fait, je n’aime pas que l’on m’impose le « droit chemin » en matière de littérature, de musique ou autres formes d’art.
      Pour tout dire, je trouve votre réflexion particulièrement, comment dire, condescendante, voire élitiste. Et être un agrégé de lettres classiques n’est certainement pas le mètre étalon…

      Autre marque de condescendance, c’est de toujours vouloir comparer ; la grande littérature à la littérature mineure, Homère à Tolkien, la « vraie » littérature à la littérature de divertissement. C’est de s’entendre dire par exemple « attention, Aldous Huxley, c’est autre chose que de la « science fiction », ça va plus loin ». C’est ne pas connaitre des écrivains comme James Ballard, Philip K Dick ou John Brunner (pour n’en citer que quelques uns).
      Pour tout dire, ce genre de réflexions ne prouve qu’une chose, le mépris certain d’une élite qui décide de ce qui est de bon goût et de ce qui n’est pas de bon goût, de ce qui est « noble » et ambitieux et de ce qui est « populaire »… Cela me fait souvenir d’un écrivain célèbre (je ne vais pas le dénoncer) qui, au cours d’une émission de radio, sur la photographie, lors du festival de la photo d’Arles, déplorait que l’on mette des appareils photos dans toutes les mains, et qu’il fallait réserver ça aux artistes… C’était à une époque assez lointaine, celle de la pellicule et de l’argentique. Avoir entendu une telle connerie a été très éclairant !

      Je ne suis en effet qu’un lecteur moyen, qu’un piètre gribouilleur de phrases.
      Je n’ai en effet pas assez lu Flaubert et Chateaubriand.

      Pour en revenir à Tolkien, et aux traductions :

      Quant à la définition de Dominer, désolé de manifester un certain désaccord. Le Larousse donne comme synonymes possibles du verbe dominer les mots « assujettir » « asservir » : http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/dominer/26384/synonyme

      La domination implique une volonté de suprématie, d’exercer une puissance ! Je ne crois pas que le terme « gouverner » implique la même volonté, en tout cas pas avec les mêmes intentions. Quand Sauron « offre » ses anneaux aux Rois des Hommes, il les transforme en spectres, incapable de se révolter, totalement asservis à sa puissance. Il ne les gouverne pas… Il « domine » leurs âmes, pour les soumettre. Ils servent Sauron, sans aucune possibilité de révolte…

      Mais on peut préférer Gouverner à Dominer, c’est en effet juste une question de goût, et les goûts et les couleurs, justement on peut les discuter. Et c’est aussi une question de vieilles habitudes. La traduction de Ledoux est ancrée dans la mémoire des lecteurs du livre, il est difficile de changer ses habitudes… Pourtant, parfois, ce n’est pas si mal de changer…

      Dire que Tolkien n’est pas « poète », c’est justement avoir lu la traduction de Ledoux, et de ne pas avoir lu celle de Lauzon. Et la traduction de Lauzon révèle bien plus que celle de Ledoux la part poétique de Tolkien.

      Qu’est-ce qui fait d’une œuvre, un chef-d’œuvre ? Qui décide ? L’académie ? L’ENA ?

      En attendant, Le Seigneur des Anneaux est le chef-d’œuvre de la Fantasy, et aussi un chef-d’œuvre de la littérature.

      1. Et pour enfoncer le clou sur les talents poétiques de Tolkien, c’est oublier totalement les magnifiques Lais du Beleriand ou encore les textes poétiques de La Légende de Sigurd et Gudrun ou de la Chute d’Arthur. Ca ne transparaît pas toujours dans les traductions, comme dans les Lais ou le SdA de Ledoux, mais les Lais, le Sigurd et le Arthur sont présentés avec le texte en anglais, que je vous engage à lire.

        1. Merci de ce soutien. 🙂 J’avoue ne pas avoir un anglais suffisamment solide pour lire Tolkien dans sa langue d’origine, mais l’expérience est à tenter. Et je n’ai aucun doute sur ses talents de poète. Hélas, il est de bon ton pour certains de mépriser ce qui n’est pas académique. C’est la vision Lagarde et Michard de la littérature.

  2. Merci pour cet article passionnant, effectivement le sujet est sensible… J’ai beau avoir 37 ans, j’avoue être un peu « réac » à ce niveau 😀 Je pense qu’on entre largement dans le domaine de l’affectif, voir de l’irrationnel et c’est bien normal tant cette oeuvre a marqué la jeunesse de bien des « geeks » 🙂 J’essaierai un jour cette version !

    1. Je crois sincèrement que cette nouvelle traduction redonne une vraie jeunesse au roman (dans le bon sens du terme). Elle est, à mon avis, totalement légitime. Il faut vraiment essayer ! 😉

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